Hugo Villaspasa, dessin 2008

Qu'est-ce qu'un dispositif ? de Giorgio Agamben

Qu'est-ce qu'un dispositif ?
Giorgio Agamben
éd.Rivages poche, 2007.

Comment combattre la machine gouvernementale capitaliste qui mène le monde vers la catastrophe ? Comment redonner à notre époque le sens de la politique alors même qu’elle s’est laissée vaincre par la seule économie, c’est-à-dire « une pure activité de gouvernement qui ne poursuit rien d’autre que sa propre reproduction » ? A l’heure où chaque citoyen ordinaire, n’ayant jamais été aussi docile et soumis, est en même temps pour les gouvernants le plus grand terroriste potentiel, il est de la plus grande urgence d’agir sur les dispositifs modernes du capitalisme et du pouvoir.
Agir sur ces dispositifs, c’est d’abord savoir les identifier et les définir. D’où la question que soulève Giorgio Agamben : qu’est-ce qu’un dispositif ? Retraçant la généalogie théologique de ce terme, remontant de son sens foucaldien à ses origines chrétiennes (le terme grec oïkonomia), en passant par le terme de positivité présent dans la philosophie du jeune Hegel et le Gestell heideggerien, Agamben propose la définition élargie suivante : « j’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants ».
Sur la base de cette définition, force est ensuite de constater que les dispositifs modernes, à la différence des dispositifs traditionnels, ont par leur prolifération suscité une dissémination, un éclatement de la subjectivité. Ils ont transformé le citoyen en sujet spectral. La démultiplication contemporaine des dispositifs a développé à l’infini et disséminé la subjectivité (l’utilisateur de téléphone portable, le passionné de tango, l’auteur de récits, l’internaute…). Ainsi, parvenu à cette phase de développement extrême du capitalisme qu’est notre époque, le grand danger présent des dispositifs est la dépossession de soi-même, la disparition de la liberté elle-même dont ils se sont emparés de manière douce et sournoise.
Le problème devient alors : « De quelle manière pouvons-nous donc nous opposer à cette situation, quelle stratégie devons-nous adopter dans notre corps à corps quotidien avec ces dispositifs ? » Face au mirage de la jouissance confortable que nous promettaient et nous promettent encore les dispositifs modernes, dispositifs qui ne font en réalité que nous séparer tous les jours un peu plus de nous-mêmes, la tâche de reprise en mains s’impose. Rejetant à la fois la solution de la destruction et celle, jugée trop naïve, d’un simple meilleur usage, Agamben préconise la profanation.
Mais qu’est-ce que profaner ? C’est précisément agir sur les dispositifs afin de les rendre à l’usage libre de l’homme. « La profanation est le contre-dispositif qui restitue à l’usage commun ce que le sacrifice avait séparé et divisé. » Aliénés par les dispositifs, il nous faut nous les réapproprier et combattre ainsi les processus de désubjectivation qui les accompagnent. C’est là la condition sine qua non de la possibilité d’une vie libre dans un monde qui ne serait pas devenu irrémédiablement inhumain. Profaner donc pour combattre la domination des dispositifs et le règne de la religion capitaliste. Profaner pour redonner tout son sens à la politique, cet effort d’hommes libres pour vivre ensemble. Profaner pour libérer la pensée.